ALLAN KARDEC
Allan Kardec demeure la
figure de proue du spiritisme. Cet homme exceptionnel a pu, en
quatorze ans seulement, consolider des renseignements épars en une
doctrine universelle claire, logique et pratiquement irréfutable; en
faire la promotion en rédigeant six livres et en fondant et
dirigeant une revue; en assurer la défense devant des détracteurs
acharnés, en plus de jeter les bases d'un mouvement international
qui lui survit encore aujourd'hui.
Allan Kardec était tout le contraire
d'un mystique ou d'un illuminé. C'était un homme très intelligent, surdoué même, à
l'esprit très cartésien et rationnel qui ne s'intéressa aux
manifestations des esprits qu'à l'âge de 50 ans, après avoir acquis
une certaine notoriété comme pédagogue.
Il vit le jour le 3 octobre 1804, à Lyon au sein d'une famille
aisée de juges et d'avocats. Il fut baptisé Denizard Hyppolyte Léon
Rivail.
Il fit preuve dès son jeune âge d'une intelligence remarquable si
bien qu'à l'âge de 10 ans, on l'envoya étudier à l'Institut
Pestalozzi en Suisse. Il en sortit dix ans plus tard avec un
baccalauréat en lettres et sciences et un doctorat en médecine.
Certains auteurs prétendent qu'il a acquis pendant cet épisode de sa
jeunesse, alors qu'il était le plus influençable aux idées
extérieures, les germes de son oeuvre ultérieure.
Il faut préciser que la méthode d'enseignement de Pestalozzi
encourageait l'adhésion à des idéaux de réforme politique et sociale
et développait l'ouverture d'esprit propre aux libre-penseurs.
Kardec y aurait d'ailleurs compris que l'éducation était la clé de
l'harmonisation entre les riches et les pauvres. Que cet
enseignement en soit la source ou non, il n'en demeure pas moins que
ces valeurs étaient omniprésentes dans la vie de Kardec.
Ses études terminées, Kardec revint en France et se consacra à
l'enseignement et à la publication d'ouvrages pédagogiques qui
connurent un franc succès. Il ouvrit sa propre école de première
année en 1825, suivie d'une autre école : l'Institut technique
Rivail en 1826. Il y enseignait la chimie, la physique, les maths,
l'astronomie, l'anatomie comparée et la rhétorique. En outre, Kardec
parlait déjà plus de six langues! Il dut par la faute de ses
associés fermer une école, mais il poursuivit son oeuvre
d'enseignement en offrant chez lui des leçons gratuites et en
rédigeant une série de livres sur divers sujets pour l'Université de
France et d'autres ouvrages encore qui lui valurent bien des
honneurs, tant et si bien qu'il était devenu à la fin des années
1840 un éducateur réputé et respecté qui aurait très bien pu vivre
aisément du profit de ses livres pour le reste de ses jours.
Il s'était entre-temps marié, en 1832, à Amélie Gabrielle Boudet,
une professeure de Beaux-Arts et écrivaine, mais n'eut aucun enfant.
Il s'était également intéressé en dilettante, pendant tout ce temps
au magnétisme, popularisé par Mesmer, mais il était encore bien loin
de croire en l'intervention des esprits dans le monde matériel.
Il
rejetta même cette idée lorsqu'on lui mentionna l'existence des
tables parlantes, ne pouvant admettre qu'un meuble soit doué
d'intelligence. Et ma foi, il n'avait pas tort et le prouva
indiscutablement. Ce scepticisme raisonné était un trait de sa
personnalité que décrit comme suit Anna Blackwell qui l'a connu
personellement et qui a traduit ses ouvrages en anglais.
Il avait un tempérament calme, prévoyant et réaliste qui donnait
parfois des impressions de froideur, accompagné d'un scepticisme
naturel. (...)
Très logique dans ses raisonnements et ses
argumentations, il ne manquait jamais de trouver des applications
pratiques pour toutes les idées qu'il avait. Il était aussi loin du
mysticisme que des débordements que donne parfois l'enthousiasme
d'une découverte. Pondéré en toutes choses, il parlait lentement et
simplement sans affectation, avec sincérité et honnêteté, qualités
qui, toujours, ont été les traits marquants de sa personnalité.
Comme on le voit, Kardec n'était pas du genre à s'énerver pour un
rien ni à adhérer à toutes les modes. C'est d'ailleurs ainsi qu'il
aborda toute la question du spiritisme.
En 1855, un an après avoir balayé du revers de la main
l'hypothèse des tables parlantes, il se laissa convaincre par un ami
d'assister à une séance. Ce fut sa première expérience. Il y fut
témoin de tables sautant et courant dans la pièce et de piètres
tentatives d'écriture médiumnique.
Il n'en fut pas pour autant
convaincu, mais ces événements avaient piqué sa curiosité. Comme il
le dit lui-même : "Mes idées ne s'en trouvèrent pas changées pour
autant, mais je percevais dans ces phénomènes un effet devant avoir
une cause. Je décelais derrière la frivolité et le loisir apparents
de ces phénomènes quelque chose de sérieux, peut-être la révélation
d'une nouvelle loi. Je me promis donc d'étudier la question.
Ainsi débuta un travail de moine qui se poursuivit pendant trois
ans. On lui présenta un certain M. Beaudin dont les deux filles,
plutôt têtes-de-linottes, organisaient des séances régulièrement et
obtenaient des communications par des coups (typtologie).
Les
messages étaient habituellement de peu d'intérêt, mais dès que
Kardec était présent à une séance, les communications prenaient une
autre tournure. Elles devenaient philosophiques et accusaient une
profondeur et une sagesse certaines.
Kardec prit donc l'habitude
d'arriver à chaque séance armé d'une série de questions auxquelles
il était déterminé à obtenir des réponses. Et il en obtint tant et
si bien qu'il acquit ainsi la base de la théorie spirite.
En cours de route, un groupe de chercheurs qui avait déjà amassé
plus de 50 cahiers de communications lui demanda d'y mettre de
l'ordre, mais Kardec refusa à prime abord pour se raviser ensuite et
entreprendre cette tâche monumentale qui devait aboutir en avril
1857 à la publication du Livre des Esprits, ainsi intitulé à la
demande même des esprits afin d'en bien marquer l'origine.
Lorsque Kardec entreprit de faire le ménage dans les cahiers, il
s'appliqua à classer les différents types de communications selon
leur nature et la cohérence de leur contenu.
Tout au long de ce
travail il utilisa pour valider les communications le principe de
concordance ou de conformité. Autrement dit, pour être acceptables
et tenues pour vraies, les réponses devaient résoudre tous les
aspects d'un problème et être cohérentes avec les réponses sur le
même sujet obtenues d'autres sources indépendantes.
Il ajouta aux
communications des cahiers, d'autres communications obtenues par la
médium Célina Japhet, puis encore insatisfait de leur validité les
soumit de nouveau à d'autres médiums. Il amalgama le résultat de ses
travaux en un livre présentant plus de mille questions et leurs
réponses, telles que fournies par les esprits, le tout augmenté
d'annotations et de dissertations au besoin pour fournir des
éclaircissements.
La doctrine avait enfin une base et une structure solide qui
allait permettre son expansion et sa diffusion à travers le monde
entier.
Mais Kardec ne s'arrêta pas là, jusqu'à sa mort, il devait
consacrer sa vie au spiritisme, une mission qui ne fut pas sans
écueils.
Le spiritisme étant une doctrine en pleine évolution, Kardec
donna suite au succès retentissant de son premier ouvrage en fondant
la Revue spirite dont le premier numéro parut le 1er janvier 1858.
Cette Revue lui donna l'occasion de faire le suivi du développement
de la doctrine de par le monde, de donner des exemples, des
précisions, de centraliser les nouveaux renseignements pour les
rediffuser à grande échelle. Bref, la Revue témoignait de la
vitalité du spiritisme et de son expansion.
La même année, il fonda la Société parisienne des études
spirites, donnant une existence concrète à cette nouvelle science
d'observation.
Si le Livre des esprits connut un franc succès et amena beaucoup
d'adeptes au spiritisme, il réveilla du même coup la hargne de
nombreux opposants et détracteurs, même au sein des spirites.
L'église catholique fut sans contredit l'un des plus vifs opposants
au spiritisme, quoique nombre de ses membres aient personnellement
appuyé la philosophie. En fait, l'Église catholique considérait le
spiritisme comme un ennemi pire que le protestantisme. Il faut dire
que les principes du spiritisme venaient saper les dogmes du
catholicisme et mettait indirectement en faute les agissements de
l'Église à l'époque, notamment son manque de charité et toutes ses
manoeuvres politiques, sans parler du commerce des indulgences.
Avant même la parution du Livre des Esprits, le pape Pie IX avait
interdit la médiumnité et toute superstition analogue, les
qualifiant d'hérétiques, de scandaleuses et de contraires aux bonnes
moeurs. Cette mentalité perdura si bien qu'en 1861, l'évêque de
Barcelone ordonna qu'on brûle une cargaison de trois cent livres
spirites. Évidemment, cela mit le feu aux poudres et raviva
l'intérêt pour la doctrine.
En 1864, le doyen de la faculté de
théologie de l'Université de Lyon débuta une série de conférences
dénonçant le mesmérisme et le spiritisme. Le clergé désignait même
le spiritisme comme une forme d'adoration du démon. Le phénomène
prit une telle ampleur que Kardec accusa l'Église d'inciter
délibérément à la haine envers les spirites. De fait, l'Église
refusait de voir dans le spiritisme un allié potentiel et le pilier
de sa transformation.
Malgré toute cette houle, Kardec continuait à écrire pour faire
connaître davantage le bien fondé de la doctrine.
Il publia en 1859,
un livre intitulé Qu'est-ce que le spiritisme, dans lequel il
rapporte un dialogue fictif entre lui et trois personnages : un
critique, un sceptique et un prêtre dont il débattait des arguments.
Vient ensuite en 1860 un ouvrage intitulé Le spiritisme à sa plus
simple expression où il fournit l'essentiel des enseignements du
spiritisme.
En 1861, parut le deuxième pilier de son oeuvre : le
Livre des médiums qui s'attarde à la médiumnité, aux manifestations
spirites et aux communications. Ce dernier ouvrage abordait le côté
expérimental du spiritisme et venait compléter le Livre des esprits
qui en énonçait les aspects philosophiques et moraux.
Outre l'écriture, Kardec occupait une bonne part de son temps à
répondre au courrier qu'il recevait, à poursuivre ses
expérimentations, à voyager dans toute l'Europe pour donner des
conférences et rencontrer les groupes spirites. S'il se faisait des
amis et des alliés, ce-faisant, il se fit également de nombreux
ennemis, certains jaloux de sa situation, d'autres vexés ou blessés
par ses vues sur la médiumnité et les médiums.
C'est qu'au fil de ses travaux, Kardec avait discerné des moyens
de déterminer sinon l'identité d'un esprit, du moins son degré
d'évolution. Ces méthodes déplurent à beaucoup de médiums qui
connurent dès lors plusieurs fausses joies, parce que les esprits
qui se communiquaient à eux sous des noms célèbres s'avéraient des
faussaires ou des usurpateurs! L'orgueil de certains en prit un dur
coup.
D'autres livres suivirent dont l'Évangile selon le spiritisme en
1864, qui donnait le point de vue des esprits sur divers passages du
Nouveau-Testament, puis Le ciel et l'enfer en 1865 qui explique
d'une part pourquoi rejeter certains dogmes traditionnels et
présente d'autre part des témoignages d'esprits de divers niveaux
d'évolution sur leur condition présente.
Enfin, en 1968, parut La
Génèse, les miracles et les prédictions selon le spiritisme qui
retrace la création du monde et démythifie ce que sont les miracles
en plus d'expliquer la capacité de prédire l'avenir.
Son dernier grand projet consista à planifier la constitution
d'une société devant donner suite à son oeuvre et structurer un
mouvement international.
Allan Kardec décéda le 31 mars 1869 et fut enterré
au cimetière du Père-Lachaise.
Sa tombe est toujours la plus fleurie du cimetière